Vagues #

 Crayon sur papier, 100x70 cm, 2019-20.

 

Difficile de prendre la mesure des dernières séries de dessins d’Alain Lapierre sans évoquer le travail qui s’élabore, ou se tisse, depuis quelques années entre ses dessins et ses vidéos.
Fasciné par les travellings - tout particulièrement latéraux - il filme des déplacements à grande vitesse au cours desquels tous les «
accidents optiques» sont accueillis, recueillis et sauvegardés : flous - bougés, reflets en abyme, irisations, larsens lumineux ou effet loupe de gouttes d’eau sur les lentilles de la caméra… Fata Morgana en tout genre; tout ce que doit éviter un film devient une matière qu’il introduit dans ses montages - enchaînements à vitesses variables, pour conduire d’amples compositions atmosphériques.
Puis, prélevant dans ses bandes vidéo, des instants précis où l’air, la lumière et souvent l’eau entrent en collision, il en transpose les effets et les jeux, en dessin.
Arrêts sur image - graphique - qui trouvent dans le déplacement de médium une nouvelle matérialité.
Ses outils : le critérium HB et une attention minutieuse, quasi obsessionnelle, qui cherchent la lumière dans les variations de gris et de noirs anthracite.

 


Dans sa dernière série «
vagues #», Alain Lapierre prend de la distance avec ces sujets, avec la matière des noirs, avec la manière même de conduire le dessin.
Renversement : tout un dispositif devient producteur de dessins. Dispositif dans lequel lumière, images photographiques, vidéographiques et pointes graphiques tiennent toujours leur place, mais dont les rôles sont redistribués.
Dans l’obscurité, sous le faisceau blanc, quasi aveuglant, d’un vidéoprojecteur, la main et son critérium HB trament patiemment. Les images dont elles suivent les halos n’ont rien de défini. Elles ont été préalablement violemment altérées (inversées, retournées au négatif, outrageusement pixélisées par l’agrandissement). Pourtant, lentement, la composition se monte par hachures successives, suivant cette image «
fantôme», dont on ne sait plus dans quelle mesure elle détermine réellement l’issue du dessin…
Dessin qui finit par se révéler, morcelé, elliptique, «
froissé». Dessin dans lequel semblent émerger encore quelques fragments du monde  - rien de très clair; des figures qui se dérobent, juste esquissées. On croit reconnaitre une poutre flottante, un débris familier, un bout de baril en fer, l’indice d’un voile flottant… Effet de Gestalt?
Commence un jeu de positionnement entre proches et plus loin - tentative d’identification - qui finit dans une acceptation du regard se laissant dériver dans le mouvement de la composition. Il se perd entre les masses noires et les grands blancs qui creusent la feuille.

 


Alain Lapierre ne s’en cache pas, les images «
prétextes» à ses compositions, sont issues de photographies recadrées de déchets accumulés (décharges sauvages de terre ou de mer) dont la beauté ou l’horreur monumentale (architecturale?) est sans description possible.

Images morcelées, issues d’images fantomatiques, créées sous la contrainte physique d’un dispositif lumineux aveuglant, ces dessins évoquent étrangement un état fragmenté et inquiétant tel qu’il se déconstruit sous nos yeux.

E. Etienne

 

 

«l’image se délite, pixels ou déchets jouent leur rôle dans leur propre disparition - tout part en lambeaux» A.L